Même avec le point d'interrogation, cette assertion peut sembler, sinon présomptueuse, du moins chauvine de la part des paludiers que nous sommes.
Mais essayons-nous au langage de l'objectivité et tentons une explication rationnelle à ce que, par le goût, nous expérimentons chaque jour.
En dehors du travail des paludiers, le sel de mer, en général, est le fruit de trois éléments :
- la météo (le soleil et le vent)
- l'eau de la mer
- l'argile sur lequel se forme le sel
Nous les examinerons successivement, mais pour résumer : nos rendements sont faibles du fait de la météo peu favorable, et de l'eau de mer qui est moins salée qu'ailleurs. Ces faibles rendements permettent au sel de conserver tous les sels minéraux annexes de l'eau de mer (magnésium, calcium, potassium ...) et de s'enrichir des oligo-éléments fournis par l'argile.
Nous sommes dans région de production de sel la plus septentrionale au monde. Les pluies sont fréquentes et certaines années, il nous est même impossible de sortir le moindre kg de sel.
Nous avons personnellement connu l'année 2001 : une seule journée de récolte ... minuscule. Résultat 400kg au total ...
Cette météorologie induit des périodes de récoltes courtes, des rendements faibles, une évaporation douce. Un tel processus d'évaporation permet aux sels minéraux annexes de l'eau de mer (magnésium, calcium, potassium ...) de parvenir jusqu'au bout du circuit d'évaporation, jusqu'au sel que nous récoltons.
Concrètement, nous observons ce phénomène à chaque "bonne" saison : le premier sel que nous récoltons présente des cristaux de grandes taille. Il est fameux, c'est à dire qu'il ne "brûle" pas en bouche et pourrait presque se manger tout seul.
A l'inverse, quand l'évaporation est plus "dure", que la période entre deux pluies est plus longue, le sel devient plus fin et beaucoup plus fort en bouche. Par ailleurs, il est beaucoup moins agréable à récolter. Mais ces récoltes sont rares, beaucoup plus rares que sur d'autres sites de production beaucoup plus au Sud.
Le taux de salinité de l'Océan Atlantique Nord est de +/- 34g/l. Paradoxalement, sur la Presqu'Ile de Batz-sur-Mer, il est bien inférieur, et plafonne à 28g/l pendant les périodes les plus sèches.
Ce faible taux de salinité est du à l'influence combinée de la Loire et de la Vilaine qui se trouvent respectivement au Sud et au Nord de la Presqu'Ile.
De ce fait, le rendement de nos salines s'en trouve diminué, l'eau devra circuler plus longtemps sur l'argile avant de parvenir au stade de la cristallisation.
Au cours de ce circuit, outre la concentration en sel, l'eau va subir deux évolutions importantes
1 - une
épuration :
La tiédeur de l'eau va permettre le développement
de
nombreuses bactéries, qui par un
phénomène de
lagunage extrêmement puissant, vont purifier l'eau des rares
impuretés propres à toutes régions
côtières. L'augmentation de la
salinité fera
ensuite mourir ces mêmes bactéries.
2 - un
enrichissement en oligo-éléments :
Une petite lame d'eau (+/- 1,5 cm) circule sur l'argile nue. Cette grande surface de contact favorise les
échanges. L'argile transmet ses nombreux
oligo-éléments à l'eau puis au sel.
Cette argile, nous la travaillons presque tous les jours, mais, ayant à rédiger ce paragraphe, nous réalisons que nous avons beaucoup de mal à en parler.
D'abord, on l'appelle le bris. Quand elle est "belle", sa couleur est d'un joli bleu gris, idéale pour le fond des oeillets (les cristallisoirs).
Mais, elle est très variable au sein même du bassin de Batz-Guérande. Avec ses oligo-éléments, elle va transmettre sa couleur au sel.
Chaque saline produit un sel d'une couleur particulière. Lorsque les sels sont mélangés sur un seul mulon (chez un négociant par exemple) il nous est parfois possible de reconnaître le nôtre.
Il est même des argiles rouges qui produisent un sel "saumoné" que l'on vend plutôt pour la salaison ou la boulangerie.
Le comportement de l'argile nous donne des indications sur le temps qu'il va faire. Si elle a tendance à se "démêler" (c'est à dire à se mélanger avec l'eau), c'est signe d'orage.
Pour conclure, le Bassin de Batz-Guérande n'est pas
idéal pour une bonne production de sel, mais
idéal pour une production de bon sel.